“À propos d’appropriation et de
manipulation chez Jean-Claude Cubino”
Expérience inédite dans l’histoire de l’humanité, la somme
des produits culturels dépasse à la fois la capacité d’assimilation d’un
individu et la durée d’une vie normale. En permanence sollicité, nous
disposons de plus d’œuvres significatives, pour suppléer aux défaillances de
notre mémoire, que n’en pourrait contenir le plus grand musée.
Mais cette surproduction est moins
vécue comme un problème que comme un écosystème culturel, immense espace
dont notre personne n’est qu’un passage.
La question devient alors : comment produire de la singularité à partir de
cette masse chaotique d’objets ? Comment s’orienter et en déduire de nouveaux
modes de production ? Il y a mille façon de s’accommoder des situations
subies, d’y ouvrir une possibilité de les vivre en y réintroduisant les
notions d’intérêt et de plaisir : c’est l’art de manipuler et de jouir,
d’encourager le chaos d’une manière productive.
Ainsi l’oeuvre de Jean-Claude Cubino est le résultat d’un tri, une œuvre inventée dans la livraison surabondante de ready-mades ; une citation, une chirurgie esthétique où il est à la fois chirurgien, patient et esthète.
Il passe du temps avec les objets comme
on passerait un après-midi avec quelqu’un, et sans trop les changer y
réinsuffle du sens, par l’export et l’import, le découpage et le collage, il
met en route la dialectique toute-puissante de la citation, une vigoureuse
mécanique du déplacement.
Un feu ardent a vite fait de
s’approprier ce qu’on y ajoute; il le consume et par ce qu’on y jette, il
s’élève plus haut. L’appropriation est la condition de la production, la
production est aussi immédiatement consommation ; alors en des moments
opportuns Jean-Claude Cubino transporte ce qui est transportable et la
synthèse a pour forme la sienne propre, pour objet non ses contenus, non un
discours, mais la décision même de saisir cette occasion pour son compte, de
maintenir par manipulation l’équilibre d’un système. C’est ainsi qu’il
réalise un vieux rêve – c’était celui du jeune Karl Marx : chaque homme est
son propre artiste !
(Arnaud Coutellec,
centon constitué d’éléments repris à John Armleder, Jean Baudrillard,
Roland Barthes, Nicolas Bourriaud, Michel de Certeau, Antoine Compagnon, Peter
Fischli & David Weiss, Thomas Hirschhorn, André Malraux, Marc Aurèle,
Greil Marcus, Karl Marx, Daniel Pflumm et Seth Price, mars 2016)