La démarche artistique de Jean-Claude Cubino, initiée il y a plus de 10 ans, englobe une multitude de médiums (dessin, peinture, sculpture, photographie, vidéo, installation etc.), mais cette pluridisciplinarité pratique ne signifie pas la dispersion du discours : chacune de ses œuvres trouve
son sens dans le projet global d’un art socialement engagé, favorisant la création d’expositions pensées comme des ateliers participatifs, des work in progress inclusifs ou, comme c’est le cas ici, des créations originales dans lesquelles la poésie et une sensibilité esthétique affirmée se mêlent à un regard aiguë sur les contradictions et les maux de nos sociétés actuelles; comme il le dit lui-même,« l’artiste est celui qui tâte le pouls de la société et établit le diagnostic».
Depuis maintenant plus d’un an, il accumule dans son atelier différents objets de récupération, dont une grande partie d’éléments publicitaires ou d’emballage de produits haut-degamme.
Il résulte de cette démarche de collecte des rebuts de notre société de consommation plusieurs projets qui incluent toujours la volonté d’ajouter à ces objets une plus-value artistique par « manipulation, combinaison ou transformation, pour produire quelque chose de différent », et, par ce biais, de développer un discours sur les rapports antagonistes ou complices entre société,consommation et art.
Ici, en intervenant directement sur des affiches publicitaires de produits cosmétiques, de lingerie ou de bijouterie de luxe, il s’attaque frontalement au problème de l’image médiatisée de la femme, et plus généralement à notre rapport à la marque (commerciale ou physique) comme expression de notre singularité ou de notre identification à un groupe. La femme, dans la publicité, abandonne sa qualité de sujet pour ne devenir que l’objet réceptacle des désirs et des fantasmes pour les hommes, modèle idéal et inaccessible pour les femmes. d’autre part, des corsaires aux hipsters en passant par les membres de gangs sud-américains, le tatouage a de tous temps rempli ce rôle de marqueur d’appartenance à un groupe ou de manifestation d’une soi-disant singularité. En maculant à la façon des Maras ces pures enveloppes corporelles de motifs commerciaux imposés à l’imaginaire collectif, Jean-Claude veut révéler au premier plan ce que sous-tendent ces images: la soumission totale des corps et des sujets au service du tout-puissant profit.
Par ailleurs, en s’appropriant les codes de la vitrine et du magasin, sollicitant le regard de toutes parts, reproduisant dans l’espace d’exposition la densité visuelle propre aux espaces mercantiles, il veut évoquer la porosité des démarches culturelles et commerciales, et, en effectuant ce grand écart, ouvrir une brèche de réflexion sur le statut des objets que l’on accumule dans les magasins, dans nos intérieurs domestiques ou dans des abattoirs transformés en musées. Ainsi, sans
abandonner ses ambitions formelles et esthétiques, Jean-Claude Cubino affirme à nouveau sa foi en l’immense potentiel de l’art comme outil de remise en cause de notre condition.
Arnaud Coutellec